« Ça y est, la vaisselle est finie. »
Il est dix-neuf heures et Alice vient de terminer ses tâches journalières. Le sol est lavé, le lit au carré, le linge séché et rangé, le repas préparé et les factures réglées. Tant bien que mal et quoi qu’il arrive. Elle a pris l’habitude. Elle répète cette routine quotidienne aussi souvent que le soleil se lève. Et elle continuera chaque fois qu’il prévoira de se coucher. Sans arrêt, réglé comme une horloge. Sa vie en est devenue tellement monotone qu’elle en devient effrayante.
Déjà vingt heures. Le repas sera donc prêt dans quinze minutes comme à l’accoutumée. Les soirées étant rythmées par les bar LED et le plastique qui forment l’écran de télévision. Ici on commence à manger pendant les pubs, termine pendant les sketchs fades n’ayant pour seul intérêt de faire patienter le film rediffusé pour la troisième fois de l’année quelques dizaines de minutes plus tard. Film qui peut importe sa qualité doit être suivi avec le silence et l’attention attendu pour un corbillard se rendant lentement vers le cimetière voisin. Les soirées d’Alice ressemblent donc à ça. La longue attente de la marche funèbre ne laissant guère place à la surprise n’ayant pour fin que le discours lassant des publicités. Il arrive parfois que la Femme n’attend rien d’autres que le jour où l’on ouvrira le portail pour laisser passer les quatre humains habillés en noir transportant son cercueil. Mais pour l’instant, seul le dressage de la table compte. Trois couverts. Deux verres de vin. Un de jus de pomme. C’est prêt.
« A table »
La première personne à entrer dans la pièce qui sert à la fois de cuisine et de salle à manger est Jeanne, sa fille. Enfant âgée de onze années. Moins stressée par son année de sixième que par sa garde-robe qui reste toujours coquette malgré le peu de moyens dont dispose la famille. C’est une jeune adolescente sans problèmes. Du moins personnes n’ose lui en créer. Elle a beau avoir l’air douce d’extérieur, il n’en reste pas moins qu’en elle a toujours résidé une force de caractère plus solide que le diamant. C’est la raison pour laquelle sa mère ne s’est jamais inquiétée pour sa sécurité. Elle a donc toujours préféré lui laisser vivre sa vie d’une manière plutôt autonome.
« Après tout, il faut bien profiter tant qu’on est jeune. Surtout lorsqu’on est une femme. Après le mariage, tout se complique. »
Alice a toujours pensé les choses de cette manière. Elle a été élevée de cette manière. Et bien qu’elle ne le souhaite pas, elle reste persuadée que sa fille subira la même vie qu’elle. Comme toutes les autres femmes. C’est quelque chose d’inscrit dans le marbre, comme les dix commandements, comme les traditions parfois aberrantes qui subsistent encore et enfin, comme une tragédie antique dont on prévoit la fin avant même son incipit.
« Ce soir je nous ai fait du riz blanc, pour changer des pâtes, avec une crème aux champignons et un steak, ça te va ? »
Dès le début de sa vie de couple, Alice à très vite pris l’habitude d’annoncer les repas lorsqu’elle en à l’occasion. C’est une manière de se sentir importante et utile. Toujours sous forme de question, jamais de manière exclamative. Une façon pour elle de s’assurer qu’elle ne déçoit personne.
« Tu es géniale, comme d’habitude maman. Merci ! »
Alors que ces mots traversent la pièce pour accéder directement aux oreilles d’Alice, un sourire timide se laissa apprécier sur son visage. Preuve que l’appareil auditif n’a servi que d’étape jusqu’au chemin de son cœur. Ce n’est peut-être pas grand-chose. Juste une phrase de politesse. Mais elles sont tellement rares dans le quotidien de la femme au foyer vieillissante, surtout depuis le début du confinement sanitaire imposé par l’état, que cette simple formule de politesse permet à Alice de s’accrocher aux derniers barreaux de l’échelle avant de tomber dans la folie.
Alors que la mère et la fille s’assoient à table, un râle presque humain se fait entendre depuis le salon. Ce genre de bruit qui ne laisse planer une longue interrogation que lorsqu’il est inconnu des personnes présentent aux alentours. Il est le même à chaque repas. Il annonce l’arrivée de l’occupant du troisième couvert. Il définit le moment où il lève toute sa masse du fauteuil pour se transformer à nouveau en bipède après avoir laissé son corps au repos bien trop longtemps devant l’écran de télévision. S’ensuit, comme chaque fois où l’appareil est abandonné, quatre bruits lourds qui résonnent sur le vieux parquet usé par le temps.
BOUM…
BOUM.
BOUM BOUM…
Avec les années, l’arythmie produite par ces sons était devenue régulière. Tel un mauvais morceau de musique qu’on a l’habitude d’entendre plusieurs fois de l’heure à la radio. Et comme une de ces mauvaises habitudes dont on ne peut se défaire s’ensuit l’angoissante mélodie dissonante de la vieille porte grinçante. Son chant lent et désagréable est, comme toujours, annonciateur de la bête.
Sympa ce petit début, continue comme ça ^^
Tiens, je te laisse quelques petites coquilles que j’ai trouvé :
qui, peu* importe sa qualité, / le silence et l’attention attendus* / que la femme n’attende* rien d’autre* / personne* n’ose / lorsqu’elle en a* l’occasion / se laisse* apprécier / des personnes présentes*
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merci beaucoup pour ton retour
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